Le Traité sur la haute mer va-t-il rebattre les cartes de la gouvernance internationale des pêches ?

Morgane Leclercq, docteure en droit, chercheure titulaire d’une bourse postdoctorale des Fonds de recherche du Québec, Faculté de droit, Université de Sherbrooke.

Le Traité sur la haute mer a pour objectif d’assurer la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique en haute mer. De son nom complet Accord se rapportant à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale, ce traité a été largement applaudi lors de son adoption le 19 juin 2023 à New York.

Il faut dire que ce texte était attendu. L’idée de le concevoir a émergé au lendemain de l’adoption de la Convention sur la diversité biologique en 1992. L’enjeu principal était alors, notamment, de tenir compte du développement de la pêche chalutière dans les fonds marins, non seulement pour la conservation des ressources halieutiques, mais aussi pour réduire les dommages causés à la biodiversité dans son ensemble. Les négociations n’ont démarré officiellement qu’en 2015, grâce à la Résolution 69/292 de l’Assemblée générale des Nations Unies.

Quels changements apportera le Traité sur la haute mer ? Permettra-t-il de faire face aux pratiques de pêche non durables ? Ces pratiques nuisent aux avantages que l’humanité peut tirer de l’Océan, notamment en termes de sécurité alimentaire durable, de santé et de bien-être. Doit-on placer dans ce traité les espoirs d’une gouvernance renouvelée des pêches permettant de faire face à ces pratiques ? Ce billet propose d’abord un état des lieux du droit international applicable à la pêche en haute mer, avant d’examiner en quoi ce nouveau traité pourrait ouvrir la voie à une gouvernance plus inclusive et durable des pêches.

Protéger et préserver la haute mer des activités de pêche : une obligation préexistante

D’emblée, il faut préciser que la haute mer n’est plus, depuis longtemps, un lieu de non-droit dans lequel il serait permis de pêcher à tout-va. Les règles limitant la pêche ont été posées depuis plus de quarante ans.

Certes, la haute mer est avant tout un espace de liberté. Les usages de cet espace ne peuvent être qualifiés d’illicites que s’ils entravent les prérogatives des autres utilisateurs. En 1982, la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM), adoptée à Montego Bay, a ainsi intégré le principe de la liberté de la haute mer en vertu duquel tous les États, qu’ils soient côtiers ou sans littoral, peuvent y pêcher (art. 87).

Cela dit, des restrictions claires sont posées depuis longtemps, si bien que la liberté de pêcher en haute mer est une liberté limitée. La CNUDM prévoit, à son article 116, que « tous les États ont droit à ce que leurs ressortissants pêchent en haute mer », mais il est immédiatement précisé que cette liberté s’applique sous réserve de leurs obligations conventionnelles, des droits et obligations des États côtiers et d’autres restrictions prévues aux articles 117 à 120. La liberté de pêche est donc maintenue, mais subordonnée à un impératif de conservation et de gestion rationnelle des ressources. Les États doivent encadrer les pratiques de pêche de leurs ressortissants en haute mer pour conserver la diversité et la qualité des stocks de poissons. Plus particulièrement, la CNUDM met notamment à la charge des États parties une obligation de prendre des mesures de conservation à l’égard de leurs ressortissants (art. 117) et une obligation de négocier avec les États dont les ressortissants exploitent les mêmes ressources ou des ressources situées dans une même zone (art. 118).

De plus, il faut savoir qu’en 1995, un nouvel accord est venu compléter les dispositions de la CNUDM relatives à la pêche. L’Accord des Nations Unies sur la pêche vise à mieux protéger certaines espèces de poissons dites “chevauchantes” ou “migratrices”, qui se déplacent entre différentes zones maritimes et notamment en haute mer. Ces espèces sont parmi les plus recherchées par les grandes flottes industrielles, capables de pêcher loin des côtes, ce qui augmente le risque de leur surexploitation. Cet accord, entré en vigueur en 2001, précise certaines des obligations incombant aux États dont les navires opèrent en haute mer et définit les modalités de la coopération entre États pour conserver et gérer les ressources halieutiques. Il introduit plusieurs principes importants du régime international des pêches, dont l’approche de précaution et l’approche écosystémique.

Lutter contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée : une obligation additionnelle issue de la production normative d’organisations internationales spécialisées

Des traités, élaborés dans le cadre d’organisations internationales spécialisées, sont venus compléter l’arsenal juridique de la CNUDM, afin de lutter spécifiquement contre les pratiques de pêche non durables, notamment la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN).

Cette pêche peut être considérée comme une des principales menaces pour les écosystèmes marins. Elle est pratiquée à la fois en haute mer et dans les zones relevant de la juridiction nationale de pays. Lorsqu’elle est pratiquée en haute mer, la pêche INN recouvre plusieurs situations :

  • des pratiques qui enfreignent les règles de conservation fixées par les organisations régionales de gestion des pêches (ORGP) dans les différentes zones maritimes ;
  • des captures non déclarées ou déclarées de manière trompeuse aux autorités compétentes ;
  • des activités menées dans une zone couverte par une ORGP par des navires non autorisés, comme ceux battant pavillon d’un État non-membre de l’organisation.

Plus simplement, disons que la pêche INN en haute mer consiste grosso modo à pêcher des espèces non autorisées, à capturer des quantités excessives ou à mal déclarer ce qui a été pêché.

L’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) a été la première organisation internationale à se pencher sur ce problème, à travers son Comité des pêches. Elle a élaboré en premier lieu un Code de conduite pour une pêche responsable, puis un Plan d’action international visant à prévenir, à contrecarrer et à éliminer la pêche INN. Elle constitue finalement l’enceinte dans laquelle se sont déroulées les négociations de l’Accord de conformité. Cet Accord, publié en 1995, vise à donner les moyens aux États de dissuader leurs ressortissants de changer de pavillon pour se soustraire aux règles de gestion et de conservation applicables à la pêche en haute mer.

Par ailleurs, l’Accord relatif aux mesures du ressort de l’État du Port, a quant à lui été approuvé par la Conférence de la FAO, le 22 novembre 2009. Il permet aux États de demander des informations aux navires battant pavillon étranger qui souhaitent entrer dans les ports relevant de leur juridiction. Par suite, le texte habilite les États du port à refuser l’entrée et l’utilisation des services portuaires aux navires impliqués dans la pêche INN, les empêchant ainsi de débarquer leurs captures et d’accéder aux marchés. Reposant sur un mécanisme ingénieux permettant de fermer les ports aux navires impliqués dans la pêche INN, ce traité est généralement considéré comme un outil efficace et rentable. L’État d’avancement de l’application de cet accord révèle que le nombre de parties a d’ailleurs triplé depuis son entrée en vigueur en 2016.

À cela s’ajoute les récents développements du droit international visant à atteindre la cible 14.6 des objectifs de développement durable, c’est-à-dire visant à interdire certains types de subventions à la pêche qui contribuent à la surcapacité et à la surpêche et à éliminer les subventions qui favorisent la pêche INN. L’Accord sur les subventions à la pêche a été approuvé par décision ministérielle dans l’enceinte de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), le 17 juin 2022. Il prohibe les subventions à des navires ou opérateurs pratiquant la pêche INN ou des activités liées à cette pêche. Plus largement, il prévoit qu’aucun Membre n’accordera ni ne maintiendra de subventions à un navire ou à un opérateur opérant dans des zones de haute mer qui se situent en dehors de la compétence des ORPG. Au 6 août 2025, l’Accord a été ratifié par 107 États parties. Seules quatre ratifications sont encore nécessaires avant que le traité ne puisse entrer en vigueur.

Créer de manière participative des aires marines protégées au-delà des zones relevant de la juridiction nationale : une nouveauté du Traité sur la haute mer utile pour la gestion des pêches

Contre toute attente, l’innovation du Traité sur la haute mer ne réside pas dans l’encadrement qu’il aurait pu prévoir des techniques de pêche dans les zones ne relevant pas de la juridiction nationale. Bien qu’il trouve son origine dans une volonté de limiter les conséquences du chalutage de fond, en définitive, il ne traite des pêches que de façon indirecte, par l’intermédiaire :

  • d’une part, de l’obligation de procéder à des évaluations d’impact sur l’environnement, pour les activités qui pourraient avoir un effet délétère sur le milieu marin et ;
  • d’autre part, de la possibilité qu’il offre de créer des aires marines protégées (AMP) et autres mesures de conservation efficace par zone (AMCEZ) en haute mer.

Afin d’illustrer cette possibilité, prenons l’exemple de la réserve marine de biosphère que veulent créer ensemble le Costa Rica, le Panama, la Colombie et l’Équateur dans le corridor marin du Pacifique tropical oriental. Une partie de ce corridor se trouve en haute mer, au-delà des zones économiques exclusives de ces États, qui sont représentées en pointillés sur la carte reproduite ci-dessous. Le Traité sur la haute mer légitime cette volonté qu’ont ces États de lier leurs AMP et, plus encore, encourage ce type d’initiatives (art. 17).

Source : Corredor Marino de Conservación del Pacifico Este Tropical 

Ce traité marque un tournant : alors que le droit international de la mer reposait jusqu’alors sur des libertés et des limitations imposées aux États, il ouvre la voie à des outils de gouvernance internationale impliquant la co-construction, avec les parties prenantes, de normes adaptées aux enjeux et aux territoires.

Les AMP et AMCEZ sont en effet des outils participatifs, impliquant les États mais aussi d’autres parties prenantes, dont la société civile, la communauté scientifique, le secteur privé, les peuples autochtones et les communautés locales, qui sont appelées à élaborer ensemble les propositions (art. 19).

De plus, suivant les lignes directrices de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), les AMP et AMCEZ créent des plateformes de discussion et coordination conçues pour rester ouvertes à la révision de leurs propres règles. Autrement dit, les règles des gestion adoptées dans le cadre de ces zones sont appelées à s’ajuster en fonction des retours d’expérience et nouvelles contributions scientifiques. Les AMP et AMCEZ doivent favoriser une culture de l’apprentissage, de l’innovation, et une prise de décision réactive à l’évolution des contextes.

En cela, on peut dire que le Traité sur la haute mer contribue à la construction d’un droit international post-moderne – un droit de la gouvernance -, attentif à la particularisation des espaces. Il participe également à un multilatéralisme en réseau dans lequel les différentes parties prenantes collaborent plus efficacement et établissent des liens plus solides. Il reflète le désir de la communauté internationale d’adresser des problèmes avec de nouveaux outils ou approches réglementaires.

De nombreuses questions demeurent sur la mise en œuvre concrète de ce Traité se rapportant à la CNUDM qui devrait entrer en vigueur prochainement. Sans pouvoir répondre précisément à ces questions à ce stade, on peut déjà noter que ce Traité devrait donc favoriser une gouvernance internationale des pêches plus inclusive et réflexive dans certaines zones de la haute mer. Alors que les AMP et AMCEZ comptent parmi les cadres juridiques les plus efficaces pour limiter les pratiques de pêche destructrices, on peut s’attendre à que le Traité entre en synergie avec l’Accord des Nations Unies sur la pêche et les Accords adoptés sous l’égide de la FAO et de l’OMC, pour des pratiques de pêche plus durables et de meilleurs usages de l’Océan.


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